Mario Benedetti

POÈMES CHOISIS / POEMAS ESCOGIDOS
Traduction : Emma Filao
Relectures : Pablo Urquiza
Béatrice Kohlstedt
Prologue de Francis Combes
Abra Pampa Éditions a l'honneur de publier le premier recueil de poèmes de Mario Benedetti en français.
Abra Pampa Éditions tiene el honor de publicar el primer libro de poemas de Mario Benedetti en francés.
Les poèmes réunis dans cet ouvrage vont enfin permettre aux lecteurs francais de découvrir l'une des voix les plus fortes et les plus singulières de la poésie latino-américaine, une voix très injustement méconnue jusqu'ici.
Né en Uruguay, Mario Benedetti (1920-2009) est certainement l'un des poètes hispaniques les plus populaires du XXème siècle.
Mis en musique par de notables compositeurs de la chanson, chanté par l'immense public de tout un continent, les raisons de cette popularité hors norme sont à rechercher dans sa poésie elle-même. Son œuvre protéiforme à l'imagination débordante n'est pas simplement le fait d'un homme de lettres échafaudant ses livres un à un dans le silence de son cabinet de travail ; c'est une œuvre qui s'alimente constamment à la source de la vie, à son eau vive et claire, comme à ses torrents boueux. Ses poèmes sont toujours sensibles, nourris d'une passion amoureuse constante. Et c'est à l'amour qu'il proclame à plusieurs reprises sa fidélité. Mais les émotions et les sentiments chez lui s'accompagnent d'une réflexion toujours en éveil. Une permanente recherche de lucidité. L'homme qui sourit sous sa moustache est un myope qui essuie régulièrement ses lunettes pour y voir plus clair.
(Extrait du prologue de Francis Combes)

Por qué cantamos *
Si cada hora viene con su muerte
si el tiempo es una cueva de ladrones
los aires ya no son los buenos aires
la vida es nada más que un blanco móvil
usted preguntará por qué cantamos
si nuestros bravos quedan sin abrazo
la patria se nos muere de tristeza
y el corazón del hombre se hace añicos
antes aun que explote la vergüenza
usted preguntará por qué cantamos
si estamos lejos como un horizonte
si allá quedaron árboles y cielo
si cada noche es siempre alguna ausencia
y cada despertar un desencuentro
usted preguntará por qué cantamos
cantamos porque el río está sonando
y cuando suena el río / suena el río
cantamos porque el cruel no tiene nombre
y en cambio tiene nombre su destino
cantamos porque el niño y porque todo
y porque algún futuro y porque el pueblo
cantamos porque los sobrevivientes
y nuestros muertos quieren que cantemos
cantamos porque el grito no es bastante
y no es bastante el llanto ni la bronca
cantamos porque creemos en la gente
y porque venceremos la derrota
cantamos porque el sol nos reconoce
y porque el campo huele a primavera
y porque en este tallo en aquel fruto
cada pregunta tiene su respuesta
cantamos porque llueve sobre el surco
y somos militantes de la vida
y porque no podemos ni queremos
dejar que la canción se haga ceniza.
Pourquoi nous chantons *
Si chaque heure vient avec sa mort
si le temps est une caverne de voleurs
les airs ne sont plus les bons airs
la vie n’est rien de plus qu’une cible mobile
vous demanderez pourquoi nous chantons
si nos braves demeurent sans étreinte
la patrie se meurt de tristesse
et le coeur de l’homme tombe en mille morceaux
avant encore que n’explose la honte
vous demanderez pourquoi nous chantons
si nous sommes loin comme un horizon
si là-bas demeurèrent les arbres et le ciel
si chaque nuit est toujours une absence
et chaque réveil un rendez-vous manqué
vous demanderez pourquoi nous chantons
nous chantons parce que le fleuve sonne
et quand le fleuve sonne / sonne le fleuve
nous chantons parce que le cruel n’a pas de nom
mais en revanche son destin en a un
nous chantons parce que l’enfant et parce que tout
et parce que quelque futur et parce que le peuple
nous chantons parce que les survivants
et nos morts veulent que nous chantions
nous chantons parce que le cri n’est pas assez
et ni les pleurs ni les disputes ne sont assez
nous chantons parce que nous croyons en les gens
et parce que nous vaincrons la défaite
nous chantons parce que le soleil nous reconnaît
et parce que le champ sent le printemps
et parce que dans cette tige et dans ce fruit là-bas
chaque question a sa réponse
nous chantons parce qu’il pleut sur le sillon
et nous sommes des militants de la vie
et parce que nous ne pouvons ni ne voulons
laisser la chanson devenir cendre.
(Traduction : Emma Filao)
